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Fascistes, espions et gourous: le réseau des apologistes des sectes 1. Choses amusantes

Dernière mise à jour : 26 sept.



Luigi Corvaglia


I – Choses amusantes


En juillet 2020, mon estime de moi a eu un sursaut. Le rapport annuel sur la liberté religieuse dans le monde de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) se terminait par des recommandations adressées au président des États-Unis, alors Trump, sur la manière de protéger ce droit fondamental ; parmi ces recommandations figurait celle d’entraver le travail de la FECRIS, la Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme, lors de la réunion annuelle de l’OSCE à Varsovie. Or, le représentant de la FECRIS à la conférence annuelle de l’OSCE sur la dimension humaine, chargé de dénoncer les abus dans les cultes totalitaires, n’était autre que la modeste personne qui signe ces lignes.

C’est ainsi que commençait mon dossier sur la géopolitique des sectes (2022). L’incipit était percutant. Trump aurait donc dû penser à me mettre des bâtons dans les roues (avec tout le travail qu’il avait déjà dans sa lutte contre le « deep state »). Cette révélation grotesque plongeait aussitôt le lecteur stupéfait en pleine scène. Comme un metteur en scène habile, après l’avoir surpris par d’autres révélations tout aussi grotesques, je le conduisais dans une reconstitution historique ordonnée. C’était une histoire de sectes, d’espionnage et de guerre psychologique. En somme, c’était le récit d’une « spy story ». Ce rapport serait ensuite traduit en anglais, en français et en néerlandais, puis publié en 2023 dans la collection Fogli di Via par la Fondation de Ferrari.


Figure 1 – Le rapport de l’USCIRF recommande au président des États-Unis d’entraver le travail de la FECRIS à l’OSCE.
Figure 1 – Le rapport de l’USCIRF recommande au président des États-Unis d’entraver le travail de la FECRIS à l’OSCE.

Jeffrey Augustine, un enquêteur qui compte parmi les plus célèbres critiques de la Scientologie au monde, a écrit à ce sujet :

Corvaglia offre la description la plus précise que j’aie lue jusqu’à présent de ce qui est, essentiellement, une opération de renseignement multinational à caractère religieux.

Arnaud Palisson, l’analyste qui, pendant dix ans, a dirigé le département « cultes et sectes » des services de renseignement français, a déclaré :

Le dossier sur la géopolitique des sectes est un modèle unique en son genre. […]

Stephen Kent, professeur émérite à l’Université de l’Alberta, Canada, l’un des chercheurs les plus renommés dans le domaine des études sur les sectes, a qualifié mon rapport de « dynamite pure ! »


Je n’aurais jamais pensé qu’un ouvrage qui est, somme toute, un fatras rédigé avec légèreté et esprit ironique, recevrait un tel accueil. Je crois donc qu’il est temps de transformer ce matériel, qui avait alors été volontairement présenté de manière « cinématographique », en un exposé plus linéaire et organique, de l’enrichir de nouvelles informations et, surtout, de mieux l’inscrire dans son cadre idéologique et politique.

Dans ce prologue, toutefois, je me permets de reprendre l’esprit de ce premier dossier afin que le lecteur, peu habitué aux dynamiques du monde obscur dont je vais parler, puisse y être introduit avec l’attitude adéquate, c’est-à-dire la curiosité de l’incrédule.

Comme expédients propres à capter l’attention que chacun porte à l’incongru, je rapporte deux faits grotesques utiles à cet effet. Le premier est que mon narcissisme ne fut pas seulement flatté par le fait qu’une agence gouvernementale américaine ait conseillé au président d’entraver la modeste personne qui écrit ces lignes, mais aussi par la circonstance supplémentaire que, immédiatement après, une ONG dénommée European Federation for Freedom of Belief (FOB) a proposé que l’Italie soit incluse dans la liste des pays à risque pour la liberté religieuse à cause de ma présence.

On peut s’en étonner en lisant l’article Même l’Europe sur la Special Watch List ? (figures 2 et 3).


Figures 2–3 – Extrait de l’article de la FOB affirmant que tous les pays où la FECRIS opère devraient être surveillés pour les risques liés à la liberté religieuse (fig. 2), car non seulement des Français ou des Russes vont à l’OSCE, mais aussi… un Italien (fig. 3).


Comme si cela ne suffisait pas, le président de cette organisation, Alessandro Amicarelli, m’a accusé dans un post public sur Facebook d’être de connivence avec le régime communiste chinois dans la commission de divers actes néfastes, parmi lesquels le prélèvement forcé d’organes sur des dissidents (fig. 4).

L’affirmation est pour le moins originale ; dès lors, la personne qui n’a aucun scrupule à la proférer doit elle aussi être intéressante. Apprenons à la connaître.


Figure 4 – Le président de la FOB m’accuse, dans un post public sur Facebook, d’être de connivence avec le Parti communiste chinois et me compare aux nazifascistes qui nient l’Holocauste.
Figure 4 – Le président de la FOB m’accuse, dans un post public sur Facebook, d’être de connivence avec le Parti communiste chinois et me compare aux nazifascistes qui nient l’Holocauste.

Alessandro Amicarelli, Alex pour les amis, est un avocat qui exerce à Londres. Son adresse de correspondance est, comme indiqué sur la page du Registre des Sociétés du Royaume-Uni (Companies House), 78 York St, London W1H 1DP, qui semble être le siège d’une société au nom amusant, Billy the Duck Ltd, active dans la production vidéo et ne comptant qu’un seul employé. En réalité, cette même adresse — une petite pièce d’angle — abrite une douzaine d’autres sociétés (mais aucun cabinet d’avocat). Ils doivent s’y sentir à l’étroit.


Sur sa page personnelle, Amicarelli se décrit comme « avocat, enseignant et philanthrope ». Il aime donc son prochain, comme le suggère l’étymologie du mot. Cela est encore davantage suggéré par le fait que, sur ladite page, il se déclare « fondateur et président de l’Embassy of Love International ». Le fait que ce nom rappelle un cabaret équivoque a éveillé ma curiosité…


Figure 5 – Google Street View de l’adresse d’Amicarelli à Londres.
Figure 5 – Google Street View de l’adresse d’Amicarelli à Londres.

Le moteur de recherche des entreprises européennes North Data crée des réseaux intéressants en reliant sociétés et individus selon leurs relations d’affaires. La fiche consacrée à Amicarelli contient le schéma de connexions présenté à la figure 6.


Si l’on clique sur le lien Embassy of Love Ltd, on découvre que son siège social se trouve ni plus ni moins que sur Regent Street (figure 7). Ceux qui connaissent Londres savent qu’il s’agit d’une adresse véritablement exclusive. Toutefois, une simple recherche sur cette adresse révèle un fait intéressant : l’élégant bâtiment est connu pour héberger de fausses adresses de sociétés bidon, c’est-à-dire une domiciliation virtuelle utilisée par des milliers d’escrocs (figure 8).

En réalité, l’adresse est utilisée par environ 4 000 sociétés, dont certaines sont connues pour avoir trompé leurs investisseurs. Cependant, North Data ne recense que les entreprises européennes, alors qu’Amicarelli, sur sa page personnelle, affirme avoir fondé son ambassade de l’amour aux États-Unis.


Figure 6 – Schéma des relations d’A. Amicarelli issu du site North Data.
Figure 6 – Schéma des relations d’A. Amicarelli issu du site North Data.
Figure 7 – L’adresse de l’Embassy of Love Ltd selon North Data.
Figure 7 – L’adresse de l’Embassy of Love Ltd selon North Data.
Figure 8 – Article de la presse anglaise sur le « paradis des escrocs » à Regent Street.
Figure 8 – Article de la presse anglaise sur le « paradis des escrocs » à Regent Street.

En effet, outre la société enregistrée à Cardiff, Pays de Galles le 16 février 2021, les registres américains en mentionnent une autre, enregistrée le 6 février 2023 (il aime décidément février) et dénommée Embassy of Love International Ministries, ayant son siège légal dans l’État de Washington.

L’adresse américaine correspond au Fidelity Building de Spokane (voir ci-dessous une photo – fig. 10 – tirée de Google Street View, où une partie apparaît floutée à la demande de l’une des sociétés qui y ont leur siège).

De quoi s’occupent exactement les deux sociétés sœurs, nul ne le sait. Même en consultant le registre des sociétés du Royaume-Uni, il est impossible de comprendre les objectifs de l’entreprise, bien qu’il y soit question de fonctions et de rémunérations.


Figure 9 – Certificat de la Chambre de commerce de l’Embassy of Love International.
Figure 9 – Certificat de la Chambre de commerce de l’Embassy of Love International.

Figure 10 – Street View de l’adresse de l’Embassy of Love International Ministries à Spokane, WA, États-Unis.
Figure 10 – Street View de l’adresse de l’Embassy of Love International Ministries à Spokane, WA, États-Unis.
Figure 11 – Obaseki & Co Ltd. L’équipe.
Figure 11 – Obaseki & Co Ltd. L’équipe.

Si l’on regarde les autres nœuds directement reliés à l’avocat, on voit apparaître Roma Nation Embassy, une société dont le siège est situé — vous l’avez deviné… — oui, au 207 Regent Street! Activité ? Inconnue.

On constate également qu’il est lié à Obaseki & Co Ltd, le cabinet d’avocats géré par des juristes nigérians auprès duquel Amicarelli exerce son activité. Sur la photo de groupe, on peut l’apercevoir qui se glisse derrière les têtes du premier rang (figure 11). On le reconnaît parce qu’il est le seul « caucasien ».

De façon surprenante, ce cabinet se trouve réellement à l’adresse indiquée dans les registres, à Bentley Road, un quartier bien moins chic que Regent Street, où il préfère se faire envoyer la correspondance (figure 12).

En explorant les autres nœuds du réseau signalés par North Data, on voit une connexion directe avec l’All Faiths Network pour le Royaume-Uni. Il s’agit de l’une des nombreuses organisations qui relèvent de la Scientologie.



Figure 12 – L’emplacement du cabinet d’avocats où travaille le président de la FOB.
Figure 12 – L’emplacement du cabinet d’avocats où travaille le président de la FOB.

Ce holding religieux, dont le credo est un mélange de gnosticisme, de magie et de science-fiction (vous pouvez lire un résumé de sa doctrine dans le troisième chapitre de ce rapport), est un organisme aux multiples visages et aux nombreuses manifestations. L’une d’elles est l’All Faiths Network, dont le directeur est William Martin Weightman, qui n’est pas, par hasard, un autre nœud direct d’Amicarelli, comme le rapporte North Data.

Il est facile de découvrir qui est Weightman.

C’est un fier membre de l’Église de Scientologie et, comme il l’affirme sur sa page LinkedIn, il a été directeur du bureau des droits de l’homme de l’Église (figure 13).


Figure 13 – Page LinkedIn de Martin Weightman.
Figure 13 – Page LinkedIn de Martin Weightman.

Ce n’est pas une surprise. En effet, Amicarelli, Weightman et une certaine Rabbi Jeff Berger de l’Église de Scientologie de Londres ont co-signé un livre sur le Covid-19 publié par l’All Faiths Network. À la page 25, vous y trouverez une photo de moi.

Il ne m’avait pas non plus échappé une photo du philanthrope en train de prendre la parole lors d’une réunion de l’All Faiths Network, sous l’effigie du fondateur de la Scientologie, Ron L. Hubbard (figure 14).


Figure 14 – Amicarelli prononce un discours à l’All Faiths Network sous une photo de L. Ron Hubbard.
Figure 14 – Amicarelli prononce un discours à l’All Faiths Network sous une photo de L. Ron Hubbard.

Parmi les autres associations constitutives de la fédération figure Soteria International, expression de l’organisation Atman Yoga de Gregorian Bivolaru — le gourou recherché pendant des années par Interpol et finalement arrêté en France en 2023 sous l’accusation d’association de malfaiteurs, traite d’êtres humains et abus sexuels.

Il y a aussi l’European Interreligious Forum For Religious Freedom, dont le président est le « Rév.» Eric Roux, président des United Churches of Scientology en France et vice-président du Bureau européen des affaires publiques et des droits de l’homme de l’Église de Scientologie (et probablement chef de l’OSA, le service de renseignement de l’Église).

Enfin, on trouve la European Coordination for Freedom of Conscience (CAP LC), dont le président est Thierry Valle, lui aussi membre de la Scientologie.

 

Figura 15 - Eric Roux et Thierry Valle


L’un des membres fondateurs, et toujours membre du comité scientifique de la Fédération, est Fabrizio d’Agostini, qui, dans la revue de Scientologie Ética e Verità, a exprimé sa satisfaction d’avoir obtenu la certification OT 6, l’un des niveaux les plus élevés de la hiérarchie de la Scientologie (figure 16).


Il semble presque que la FOB ait quelque chose à voir avec la Scientologie.


Figure 16 – Page de la revue de Scientologie Ética e Verità consacrée à Fabrizio d’Agostini.
Figure 16 – Page de la revue de Scientologie Ética e Verità consacrée à Fabrizio d’Agostini.

Amicarelli, soit dit en passant, est aussi le nom de famille du porte-parole historique de la Scientologie en Italie, Fabio Amicarelli. Bien sûr, cela ne signifie rien, il pourrait s’agir d’une simple homonymie, mais il existe un troisième Amicarelli : l’hypnotiseur Michele Amicarelli, qui siège lui aussi au comité scientifique de la FOB.

Trois personnes portant le même nom de famille, toutes reliées au même univers. C’est possible… même si Amicarelli n’est pas un patronyme très courant en Italie.

Ci-dessous (figures 16 et 17), vous pouvez voir une comparaison entre la fréquence de ce nom de famille et la mienne, qui n’est pas très répandue, sauf localement.


Figures 17–18 – Comparaison entre la prévalence du nom de famille Amicarelli et du nom de famille Corvaglia en Italie : 88 familles contre 803.
Figures 17–18 – Comparaison entre la prévalence du nom de famille Amicarelli et du nom de famille Corvaglia en Italie : 88 familles contre 803.

De quoi s’occupe la FOB ? Comme on peut le lire sur leur site web, elle promeut et protège la liberté religieuse. La FOB est inscrite au registre des lobbies auprès du Parlement européen et de la Commission européenne.

En janvier 2016, j’ai raconté tout cela au journal Linkiesta, qui publia un article de Carmine Gazzanni contenant également une de mes interviews. La réaction immédiate de la FOB fut une réplique dans le même journal, où l’on menaçait de poursuivre en diffamation l’auteur de l’article ainsi que moi-même.

J’ai répondu sur la même page :


Je ne crois pas que quiconque, à l’intérieur ou à l’extérieur de la FOB, aurait l’audace d’affirmer que la Scientologie, pour ne citer qu’un exemple, n’est pas une organisation pour le moins « controversée ». Et pourtant, la direction de la FOB écrit que cette affirmation est « préjudiciable ». Pourquoi ? Si faire partie d’organisations, même controversées, est précisément le droit que la FOB défend bec et ongles, pourquoi affirmer que certains de ses membres en font partie serait-il diffamatoire ?! Peut-être qu’une association qui défend les droits des homosexuels se sentirait offensée si on l’accusait du fait que certains de ses membres sont homosexuels ? Un curieux nœud logique qui ne peut s’expliquer que par la crainte du conseil d’administration de la FOB que cela ne suscite des doutes sur les véritables objectifs de la Fédération.

Naturellement, aucune action en justice ne suivit.


La plupart des articles publiés sur le site web de l’organisation sont tirés de la revue Bitter Winter. Il s’agit de la revue du Centre d’Études sur les Nouvelles Religions (CESNUR) du célèbre Massimo Introvigne, dont l’épouse siège elle-même au comité scientifique de la FOB.

Cet auteur prolifique est également président d’une étrange société appelée E-religion SNC, qui affirme n’avoir qu’un seul employé. La société a été fondée en 2001 (l’employé n’a été embauché que vingt ans plus tard).


Figure 19 – Extrait du registre du commerce de l’entreprise E-Religion de Massimo Introvigne et Pierluigi Zoccatelli.
Figure 19 – Extrait du registre du commerce de l’entreprise E-Religion de Massimo Introvigne et Pierluigi Zoccatelli.

Entre les ambassades de l’amour et la religion électronique (c’est le sens de « e-religion »), les diverses sociétés rattachées au groupe des défenseurs de la « liberté religieuse » apparaissent de plus en plus intrigantes et mystérieuses.

À quoi peuvent donc bien servir toutes ces entités avec numéros d’immatriculation, boîtes postales et adresses e-mail ? Nul ne le sait.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que circulent des inférences, des rumeurs et, avec le temps, des indices intéressants sur le sujet…


La dernière chose grotesque est l’utilisation d’une photo prise le 29 septembre 2017 à Salekhard, Sibérie. Je la republie ici (figure 20) :


Figure 20 – Intervenants à une conférence sur les cultes destructifs tenue en Sibérie en 2017.
Figure 20 – Intervenants à une conférence sur les cultes destructifs tenue en Sibérie en 2017.

Celui tout à l’extrême droite, c’est moi. La photo a été utilisée comme preuve définitive, une « smoking gun », d’un lien entre la FECRIS — ou du moins moi — et le régime russe. En effet, le deuxième en partant de la gauche est Alexander Dvorkin, un militant antisectes russe proche de l’Église orthodoxe (et celui au centre est, évidemment, un évêque orthodoxe).

L’image, désormais iconique, a rempli sa fonction sur les principaux sites des opposants au mouvement antisectes et a connu une carrière honorable qui dure depuis de nombreuses années. Elle a même eu l’honneur d’être présentée dans le cadre d’une communication académique au congrès international du célèbre Centre d’étude des nouvelles religions (CESNUR).

Exemple d’« élaboration conceptuelle élevée » et de « rare rigueur académique » : le commentaire de l’oratrice — « On m’a dit que cette personne (elle parlait de moi) est fortement athée — qui le lui a dit ? — mais on voit qu’il n’a aucun mal à fréquenter le clergé. » En effet, l’évêque au centre n’était pas exactement incognito.

Vous pouvez voir l’argumentation « irréfutable » dans la Vidéo 1 (plus loin dans le texte).



Vidéo 1 – Rosita Šorytė a surpris l’auteur de ce rapport en fâcheuse compagnie.


La distinguée chercheuse qui a présenté cet argument « sophistiqué » au congrès international du CESNUR est Rosita Šorytė, épouse du directeur du CESNUR, Massimo Introvigne, et membre du comité scientifique de la fédération FOB mentionnée plus haut.


L’image a même été citée par Massimo Introvigne lui-même dans un article en russe, où le chercheur affirme avoir vu une photo dans laquelle moi, une personne si laïque, j’apparaissais « presque submergé par les prêtres » (l’homme barbu à côté de moi est Thomas Gandow, un pasteur luthérien).

Le directeur du CESNUR a fait de cette « image bénie » un élément fort de son répertoire pendant des années. Sur la photo ci-dessous, par exemple, il est en train de l’illustrer lors de la conférence de l’American Academy of Religion de 2018 à Denver (figure 21).


Figure 21 – Introvigne commente la photo habituelle lors du congrès de l’American Academy of Religion à Denver en 2018.
Figure 21 – Introvigne commente la photo habituelle lors du congrès de l’American Academy of Religion à Denver en 2018.

La photo est ensuite apparue dans des contextes improbables, comme dans un livre sur la pandémie de Covid-19 publié par l’All Faiths Network (mais nous savons désormais de quoi il s’agit. C’est la photo à la page 25 à laquelle j’ai fait référence plus haut).

La photo a ensuite été publiée à plusieurs reprises dans la revue Bitter Winter, éditée par le CESNUR, une fois même avec une légende à la fois amusante et sibylline : « Luigi Corvaglia à l’extrême droite (ce qui n’est pas sa position politique) ».


Cependant, la réutilisation la plus incroyable de cette photo est survenue dans The European Times, un obscur quotidien en ligne qui affirmait que le mouvement antisectes est responsable du sentiment anti-ukrainien en Russie et, par conséquent, moralement coresponsable de la guerre en cours (!).

L’auteur de cet article et d’autres textes de ce journal est un certain Jan Leonid Bornestein, dont on ne trouve aucune trace sur le Web. Sa seule photo disponible, insérée dans l’outil Facecheck.id — un service de vérification d’identité par reconnaissance faciale — a donné zéro résultat. On ne peut exclure que cette personne n’existe pas et que la photo soit un produit de l’intelligence artificielle.


The European Times est une étrange publication enregistrée en Espagne mais dont le directeur est un Bulgare, un certain Petar Gramatikov. Celui-ci se présente comme un hiérodiacre de l’Église orthodoxe bulgare, bien que son ordination ait été conduite en violation des canons (il a été marié et divorcé plusieurs fois, ce qui le rend inéligible à l’ordination).

Quoi qu’il en soit, il a été ordonné par le métropolite de Tyrnovo, même s’il vit à Plovdiv. Très probablement, son diaconat et son monachisme sont simplement décoratifs.

Les seules choses certaines sont qu’il dirige le journal d’un centre de bien-être, l’Orpheus Club Wellness à Plovdiv, et qu’il entretient d’excellentes relations avec la Scientologie, comme en témoigne sa présence à la célébration du 46ᵉ anniversaire de la fondation du siège belge de l’organisation.

La photo ci-dessous le montre au centre lors de ladite célébration.


Figure 22 – Participants à la célébration du 46ᵉ anniversaire du siège belge de la Scientologie.
Figure 22 – Participants à la célébration du 46ᵉ anniversaire du siège belge de la Scientologie.

Celui tout à l’extrême droite (on ne sait pas si cela correspond à sa conviction politique) est Ivan Arjona Pelado, l’un des principaux représentants de la Scientologie et membre des services secrets de l’Église. Tout se tient.


En octobre 2024, le quotidien d’investigation français Blast a publié un dossier révélant que The European Times fait partie d’un centre médiatique international appelé Brussels Media, dont le directeur exécutif, Lahcen Hammouch, est très proche de la Scientologie.

Entre autres, l’adresse de contact de The European Times est celle d’une association satellite de la Scientologie en Espagne, la Fundación para la Mejora de la Vida, la Cultura y la Sociedad, dont le directeur est justement Ivan Arjona Pelado, que l’on aperçoit tout à l’extrême droite sur la photo précédente (fig. 22).

L’article de Blast publie également une photo prise au Parlement européen le 30 novembre 2023, montrant un petit cercle intéressant comprenant Arjona Pelado (toujours curieusement le dernier à droite sur la photo), le déjà mentionné Eric Roux, principal représentant de la Scientologie et membre de la fédération FOB, au centre, ainsi que Lahcen Hammouch, directeur de Brussels Media, deuxième à partir de la gauche (fig. 23).


Figure 23 – De gauche à droite : Willy Fautré, Lahcen Hammouch, Maxette Pirbakas, Eric Roux, Christine Mirre, une personne non identifiée et Ivan Arjona Pelado.
Figure 23 – De gauche à droite : Willy Fautré, Lahcen Hammouch, Maxette Pirbakas, Eric Roux, Christine Mirre, une personne non identifiée et Ivan Arjona Pelado.

Il n’y a donc aucun doute sur le lien entre The European Times, la Scientologie et les associations qui défendent la « liberté religieuse », comme la FOB et d’autres, telles que Human Rights Without Frontiers, dont le directeur est Willy Fautré (le premier à gauche sur la photo 23), ou encore la Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience (CAP LC), dont la vice-présidente, Christine Mirre, est la troisième à gauche sur la photo 23, à côté de Roux.


Une autre photographie (fig. 38) est encore plus significative : elle montre un briefing réunissant des représentants de très haut rang de la Scientologie avec ceux des organisations de défense de la « liberté religieuse ».

Il ne s’agit donc pas d’un simple « conflit d’intérêts », mais d’une complicité manifeste. Il est évident qu’il s’agit d’une action coordonnée et planifiée par certains dirigeants de la Scientologie (y compris ceux de l’OSA, son service de renseignement) et par les leaders des ONG de défense de la liberté religieuse.

La photo a été prise lors de la réunion de l’OSCE à Varsovie, peu avant le début de la session à laquelle j’allais participer.


Figure 38 - Thierry Valle (CAP LC), Christine Mirre (CAP LC), Ivan Arjona Pelado (Scientologie), Willy Fautré (HRWF) et Eric Roux (Scientologie) font un briefing ensemble avant la session sur la liberté religieuse lors de la réunion de l’OSCE.
Figure 38 - Thierry Valle (CAP LC), Christine Mirre (CAP LC), Ivan Arjona Pelado (Scientologie), Willy Fautré (HRWF) et Eric Roux (Scientologie) font un briefing ensemble avant la session sur la liberté religieuse lors de la réunion de l’OSCE.

À la fin du même mois où a été publié l’article de Blast sur le réseau reliant Brussels Media, la Scientologie et les ONG de défense de la « liberté religieuse », ma photo sibérienne a elle aussi refait surface, après une brève éclipse.

Il s’en est suivi une incroyable campagne diffamatoire dans laquelle divers « trolls » d’AllatRa m’ont accusé, moi — et non pas eux — d’être un « agent russe » ou un « agent de l’Église orthodoxe russe ». Cette photo a été utile (voir figure 24).

Même les arguments utilisés contre le mouvement antisectes, largement puisés dans les articles de Bitter Winter, se sont révélés utiles.


Figure 24 – Adept d’AllatRa occupé à me diffamer comme « agent russe », en utilisant les arguments de la campagne de Bitter Winter et de la FOB.
Figure 24 – Adept d’AllatRa occupé à me diffamer comme « agent russe », en utilisant les arguments de la campagne de Bitter Winter et de la FOB.

À part cela, il ne semble pas y avoir de doute sur les objectifs politiques prorusses d’AllatRa, comme l’ont également montré plusieurs enquêtes journalistiques.

Au début de novembre 2024, les services de sécurité ukrainiens ont même fait irruption dans une vingtaine de sièges centraux du culte, confisquant du matériel qui confirmait les résultats des enquêtes sur les « activités subversives pour le compte de la Fédération de Russie » menées par le mouvement.

Étrangement, le seul expert extérieur à l’organisation qui a accepté d’être interviewé par la télévision de ce mouvement au sujet de la prétendue persécution d’AllatRa et d’autres cultes était un membre de la FOB — et pas n’importe lequel : le haut scientologue Fabrizio D’Agostini.

Je croyais avoir compris que c’était moi l’« ami des Russes » et que la FOB représentait, elle, la démocratie et la liberté. Manifestement, il y a quelque chose de faux dans cette représentation.


Figure 25 – Fabrizio D’Agostini (Scientologie et FOB) à la télévision du culte prorusse AllatRa.
Figure 25 – Fabrizio D’Agostini (Scientologie et FOB) à la télévision du culte prorusse AllatRa.

Cette introduction a donc permis au lecteur de se familiariser avec les acteurs (CESNUR, Scientologie, FOB, USCIRF, etc.), de se faire une idée de leurs relations réciproques et de leur modus operandi, ainsi que de comprendre comment l’auteur utilise les sources ouvertes pour enquêter sur le réseau des « apologistes des sectes ».

Le lecteur est maintenant prêt à s’immerger dans l’exposé ordonné de l’histoire, du cadre idéologique et du contexte géopolitique dans lequel s’inscrivent les actions de guerre hybride que nous venons de passer en revue.


à suivre ...
 
 
 

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